La rumba congolaise est depuis quelques heures inscrite à la liste du patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Une reconnaissance de taille pour la musique qui a conquis tout un continent, et étendu son influence bien au-delà.
Cette semaine, l’Unesco inscrit la rumba congolaise sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité, qui recense les traditions vivantes où s’expriment l’âme des peuples et partant, le génie de l’humanité toute entière. Et la rumba congolaise est bien de celles-là.
D’abord, elle sert depuis 80 ans de matrice à toutes les musiques modernes des deux Congo, qui continuent de perpétuer, sous des couleurs contemporaines, la grande épopée de la rumba. Elle est aussi le son, pour ne pas dire la langue, qui unit précisément ces deux pays, bien au-delà de l’ancien royaume Kongo que les frontières coloniales ont séparé. La rumba coule sur le fleuve Congo, papillonne entre les deux capitales, Brazzaville et Kinshasa, aussi librement que les notes du Dr Nico ou de Franco. Sa genèse d’ailleurs en témoigne : Paul Kamba et son orchestre Victoria Brazza d’un côté du fleuve (celui-là même qui, capitale de la France libre, se dotera d’un émetteur arrosant toute l’Afrique de… rumba), suivi sur l’autre rive de Wendo Sor (Wendo Kolosoy) et son orchestre … Victoria Kin. Car si à l’époque, Brazza a la puissance des ondes, Kinshasa (Léopoldville) possède la force des studios-labels (Opika, Ngoma, Loningisa) qui vont inonder le marché de 78 tours puis plus tard de 45 tours et permettre aux artistes de se professionnaliser.
Les conditions étaient donc réunies pour qu’explose ce nouveau son, qui incarnera la modernité africaine et tous les espoirs portés par l’indépendance, dansés sur un air de cha-cha-cha.
Autant le dire, la rumba, dès ses débuts, est bien plus qu’un divertissement. Elle est un exutoire et une bouffée de liberté dans le contexte d’oppression coloniale : c’est d’ailleurs l’argument que développe à merveille le documentaire The Rumba Kings d’Alan Brain dont PAM vous a déjà parlé dans ces colonnes. La rumba est aussi un média à travers lequel, tandis que virevoltent les corps, on fait passer des messages, souvent voilés, alimentant les commentaires à « la cité » (c .a.d. les quartiers africains de la ville coloniale). Rien d’étonnant donc à ce qu’Aimé Césaire, dans sa pièce Une Saison au Congo, ait donné au nganda (le bar) et à la rumba une telle place dans l’agitation politique qui précéda l’indépendance. Une tendance que la suite de l’histoire ne démentira plus. On verra d’ailleurs la manière dont les politiques – Mobutu en tête- tenteront de s’appuyer sur les artistes pour asseoir leur pouvoir.
Et puis, et surtout, la rumba n’est pas seulement universelle parce que les orchestres congolais (de l’African Jazz à Zaiko Langa Langa, en passant par l’OK Jazz, l’African Fiesta, les Bantous de la Capitale, jusqu’aux Quartier Latin et Wenge Musica… ) ont conquis toute l’Afrique, et essaimé dans les terres diasporiques (Antilles, Colombie par exemple). Elle est universelle parce que son histoire est dès sa source mondialisée. Car elle naît du départ des esclaves Kongo qui emportèrent avec eux, dans le ventre des bateaux, leurs rythmes et leurs dieux pour leur servir de boussole dans les plantations des Amériques. Ce sont ces rythmes qui, se frottant aux éléments culturels européens et amérindiens, accoucheront de tant de musiques qui feront la puissance culturelle de cette partie du monde. Le blues, le jazz, le rock et la soul des Etats-Unis, le reggae de Jamaïque, et bien sûr les musiques cubaines qui eurent une influence majeure sur le développement de la rumba congolaise. Le son, le cha-cha-cha, le boléro, et la rumba cubaine [1], toutes pétries de racines africaines et réunies sous le nom d’« afro-cubaines », revinrent vers le continent-mère dès le début des années 40. Elles servirent de catalyseur au développement des grands orchestres, qui y greffèrent les multiples rythmes, influences et idées dont les deux Congo n’ont jamais manqué. Une longue épopée que PAM vous a déjà racontée. Et il n’était que justice, cinq ans après sa cousine cubaine, de voir la rumba congolaise entrer enfin au patrimoine mondial de l’humanité. Car, on ne le répètera jamais assez, le plus grand trésor du Congo n’est pas son sous-sol, mais bien sa musique.
[1] Le mot rumba lui-même, lit-on souvent, viendrait du mot bantou « nkumba », le nombril – la « rumba » ayant désigné une danse où se tutoient les nombrils des deux partenaires.